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20 octobre 2020 2 20 /10 /octobre /2020 17:42

Je vous propose un petit retour en arrière... Vous vous souvenez, au printemps dernier, brusquement est tombé l'ordre de ne plus bouger, ou à peine, comme dans le jeu d'un deux trois soleil, une heure, un kilomètre...c'était un printemps magnifique plein de soleil. Jamais je n'étais restée ainsi dans la maison de haute-marne que nous a laissée T. à sa mort.

 

 

Au jardin

 

Si tu as une bibliothèque et un jardin rien ne te manque

Cicéron (à son ami Varron)

Avril

 

Je regarde

le pommier en fleurs

il a besoin de mon regard

pour être beau

il n'a pas besoin de moi

pour fleurir.

J’ai besoin de lui

de ses pommes

de sa beauté

pour vivre.

 

Une pensée minuscule

est apparue

minuscule, parfaite

petit minois violet et blanc

entre les herbes vertes.

 

Le chat surgit

un oiseau dans la gueule

je l’attrape par la peau du cou

sa mâchoire se desserre

l'oiseau s'envole.

 

Pommier pensée oiseau chat jardin

 

J’ai enterré

avant l’hiver

des oignons de tulipes

elles fleuriraient aujourd'hui

sans moi, se faneraient

sans moi

si je n'étais enfermée à ciel ouvert

dans la maison et son jardin.

On dit confinée

on dit je ne sais pas.

On ne sait plus.

 

Le coq chante la poule pond

je cueille du pissenlit

je ramasse du bois

je mange des œufs

Total verse de gros dividendes à ses actionnaires

Le rosier a gelé il y a deux semaines

il repart aujourd’hui

doucement.

 

Total n'a pas besoin de moi

pour multiplier ses investissements.

Et pourtant si

il a besoin de nous.

 

J'ai arrosé le rosier

trop ?

Ses feuilles jaunissent

le merle chante

il vient tous les matins

manger les baies noires du lierre

le chat cherche une autre proie

le lilas embaume l'air du soir

la bêche est posée

contre le fauteuil de toile

le dernier rayon du soleil dore

les premières feuilles des tilleuls

il s'éteint.

Nous sommes le 16 avril 2020

il est 20h21 à Châteauvillain

 

Virginal, nuptial

le pommier en gros bouquets fleuris

encore teintés de l'aube rose

de ses boutons

rayonne de blancheur

surlignée à peine

du vert des premières feuilles

les fleurs jaunes si jaunes des pissenlits

se transforment une par une

en boules duveteuses

lumineuse fumée que le vent ne dissipe

pas encore.

Les ancolies

attendent

leur heure

les lilas pâlissent en s'ouvrant

comme si

la couleur se dissipait

en odeur.

 

Un jour nouveau

ou bien le même

Un jour nouveau, présent

parfait

éternel

dans la lente avancée du soleil

jour ici nuit là

dans la lente avancée

de la terre autour du soleil

lente spirale du presque même

dans la contemplation solitaire

d'une splendeur imaginaire

et mystérieuse.

 

Au plus léger vent

il neige sous le cerisier

le pommier

ne frémit pas

immobile de beauté.

 

Jaunes, roses rouges, mauves

comme des bonbons acidulés

piqués ici et là

les tulipes surgissent, palissent, se tordent

et s'éteignent pétale à pétale.

 

Le temps s'étale.

 

Silence des oiseaux.

Faut-il

couper les ponts

abandonner l'absence à l'oubli ?

N'être que présence ?

La forêt de Tchernobyl

brûle tout près

du sarcophage de la centrale

Au parlement une voix s'élève 

« pour porter l'espoir d'un nouveau modèle de société »

les mésanges gazouillent

Toc toc

Un pivert ?

 

Que cherche

du bout du bec

la mésange

sur la pousse rouge et tendre du rosier qu'elle ploie ?

De doux nuages gris nous protègent aujourd'hui

de la tyrannie du soleil.

La beauté ne prouve rien

elle interroge seulement

comme la pythie de Delphes.

Faut- s'inquiéter de ne s'inquiéter de rien

dans cette époque inquiète ?

 

La voisine a retrouvé trois poules mortes

tombées derrière une cloison.

On les croyait mangées par le renard

depuis l'hiver dernier.

 

La porte est grande ouverte

sur le soleil à venir

le pommier à son tour

pleure en grosses larmes blanches

sa beauté déclinante.

Partout dans les rues du village

par dessus les murs

les lilas débordent

triomphants

la présence du présent

repousse l'insistance

des images mentales.

 

Maya

agite au vent son voile.

le pommier perd ses pétales.

Derrière le voile

fleurs et fruits

vivent ensemble.

Mort et vie

ne font-ils qu'un ?

Le soleil a dépassé le sommet des tilleuls

ses rayons se répandent sur le jardin.

De l'autre côté de la planète

la nuit tombe.

Rien n'est immobile.

 

Certains prétendent

que le présent

auquel nous nous éveillons chaque matin

n'est qu'un rêve

rêve de pommier et de lilas

rêve de coqs

que mes yeux que mon nez

que mes oreilles

inventent.

Rêve des prédateurs

Cauchemar des proie

Rêve de virus

Fièvre rêvée.

Si nos réalités ne sont que rêves

inséparablement liés les uns aux autres

si la mort nous en délivre

nous fait-elle entrer dans le Grand Secret ?

De quelle perfection à venir

la beauté est-elle une promesse ?

De quelle rencontre 

De quelle béatitude 

De quel amour 

De quelle présence 

est-elle le signe ?

Maya est une petite chatte tigrée

qui s'appuie contre mes pieds

pour lécher soigneusement son ventre

tiédie par un rayon de soleil.

Une ravissante petite tueuse.

Le rayon de soleil me touche en plein visage

me ferme les yeux

dans l'obscur lumineux

de mes paupières baissées

est-ce le chardonneret

que j'entends ?

 

Le soleil n'est pas plus grand que ma main

qui le cache à mes yeux

ses longs rayons traversent les feuilles du pêcher et les fleurs du pommier

les dernières gouttes de rosée

tremblent

en haut des herbes

au bord du rosier.

L'ombre vive

d'un invisible oiseau

a traversé le jardin

C'est l'heure du pain grillé

Délicieuse illusion du corps.

 

Les jeunes plants de tomates

écrivent en ombres noires sur la terre sèche

des signes

que le vent fait danser

et qu'un nuage efface

calligraphie solaire

que nul ne déchiffre

 

De quoi le vide

est-il plein ?

Quel est le sens

de l'absurde?

A quoi joue le merle

du lilas au noisetier

du noisetier au lilas ?

 

Les branches des noyers

sont encore presque nues

les tilleuls explosent

en vert intense

les feuilles des frênes

frémissent au vent.

Saules hêtres et marronniers

se balancent

à peine.

 

Elle a eu 90 ans en novembre dernier

et aujourd'hui elle pioche

heureuse si heureuse

d'avoir la force

encore

de se plier en deux

pour arracher ce qu’elle appelle

« les mauvaises herbes »

la force de se relever

la force de faire de son jardin

un paradis de fleurs

et d'oubli.

 

Ce soir on fêtera ça au champagne

 

Le soleil prolonge chaque jour un peu plus

sa présence dans le jardin

Il s'attarde en une longue caresse le long des arbres

du bas jusqu'à la cime qu'il illumine

avant de disparaître.

 

Les vieilles pierres moussues résistent

et nous aussi

le chat est sur ses gardes

 

Le pêcher n'aura pas de fruits.

Est-ce bien raisonnable ?

On n'entend pas les hirondelles

 

Demain il fera beau

on déjeunera au jardin

dimanche il y aura de l'orage

Le temps obéira aux prévisions

ou pas.

 

le chat s'en fout

il cabriole pour saisir un moucheron du soir

 

Demain il n'y pense pas. Et le merle non plus.

Je suis. Mais que suis-je ?

 

Sans demain, sans projets, sans buts

sans combats

Suis-je encore ?

 

 

 

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