Bamako
Centre d’entraînement sportif de Kabala
Premières impressions (dimanche 29 octobre)
En fait, le tournage de Rapt à Bamako est commencé depuis presque un mois. L'équipe est nombreuse, tout le monde se connaît bien déjà, et m'accueille avec amitié.
Enfin je lis le scénario, très proche du roman malgré quelques modifications fidèles à l'esprit du texte, et qui en resserrent le propos. A vrai dire, j'aurais besoin de me rafraîchir la mémoire en ce qui concerne le roman écrit il y environ dix ans maintenant et pas relu !
… Silence, on tourne...
Il faut une longue préparation avant que soient prononcés ces trois mots... Les plans sont courts mais on les refait, une fois, deux fois, cinq fois ...
On voit la perche, le jeune acteur n'est pas passé au bon endroit, c'est mou... c'est bon on redouble !
Passe un nuage, on attend le retour du soleil.
Je découvre la longue patience nécessaire à chaque prise de vue, l'exigence du réalisateur et la minutie de chaque détail.
L'après midi un vent violent se lève, fait claquer bruyamment les plaques ondulées du toit. Il apporte une pluie cinglante. Le tournage est suspendu, on attend, et puis l'équipe se disperse. On ne tournera plus aujourd'hui.
lundi 30 Octobre
Dans le moniteur, le cadre enferme l'action, le monde fictif du film, dans le hors cadre l'équipe s'active, prépare le décor. Les objectifs sont soigneusement rangés dans des boites isothermes équipées de mousse. Pas de poussière, pas de choc.
La script me fait une place à ses côtés sous l'épaisse toile noire qui protège l'écran de la lumière. Le réalisateur et son chef opérateur sont devant nous. Je remarque les longs doigts gracieux du réalisateur. Son attention, son souci de ses acteurs-enfants, en particulier, sa douceur. Et sa fermeté.
Entre deux prises, on attend. Le cameraman attend, le preneur de son attend, le claqueur, les assistants. Vigilante, la script attend. Le réalisateur contrôle la lumière, le décor, le jeu de l'acteur. IL va et vient du plateau à l'écran. Il rectifie, précise.
On essaye, on recommence. Tout est noté, l'heure des prises, le temps de mise en place. Rapport de tournage, mouchard... Plus ses petits dessins et ses plans fléchés.
La chaleur monte.
Les verres de thé tournent, sitôt vidés ils sont remplis pour quelqu'un d'autre.
Changement d'objectif. Très gros plan sur la bouche de l'imam. Le rictus n'est pas assez féroce. « Décidément tu n'es pas un tueur », dit le réalisateur. La contre plongée renforcera la férocité insuffisante des lèvres.
La chaleur monte. Les mouches tournent. On refait. On refait. 95-3-3. Un dernier....
On transporte le monitor et les caisses de bois qui nous servent de siège de place en place.
Extérieur. On aveugle de cartons les grilles des fenêtres qu'il ne faut pas que le spectateur reconnaisse. On installe le décor, minimaliste.
Cheik a laissé ses chaussures, il marche pieds nus sur le carrelage mangé d'herbes folles, lentement, concentré. L'histoire qu'il tourne infuse en lui – angles de prise de vue, choix des échelles de plan... tout est déjà prévu et tout est à repenser sans cesse. « L'espace d'un film, ce n'est pas seulement ce qu'il y a dans le cadre. Une voix peut venir de l'extérieur, quelqu'un peut entrer ou sortir du plan d'un côté ou de l'autre, par le haut ou par le bas... »
Quand il tourne un plan il a en tête le précédent et le suivant.
La nuit tombe, la journée de tournage est finie.
Cheik s'installe pour répondre aux questions d'une jeune stagiaire. Avec la plus grande simplicité et la plus grande générosité, il partage sa passion, ses convictions, ses principes, son expérience. Il revient sur les plans tournés, expliquent ses choix.
« Un autre avec le même scénario ferait un autre film .
Un rayon de lumière crée de la beauté surtout quand il révèle une émotion sur un visage. Je cherche cette beauté.
Au montage, on peut utiliser différentes prises d'une même scène pour créer une dynamique. C'est au montage que tu construis définitivement l'oeuvre. Au tournage tu te donnes les moyens de cette construction, mais chacun a sa façon d'exprimer ce qu'il veut.
On ne cède jamais aux propositions des techniciens. C'est à toi de construire ton plateau, de défendre tes choix de mise en scène, mais je me concerte avec mon opérateur. Je sais ce que je veux. A lui de le faire. Moi je suis de l'école du clair-obscur. Il faut tenir compte des ombres comme de la lumière. Chaque technicien a ses trucs pour tamiser la lumière.
Le réalisateur a tout son film en tête. Il a fait le découpage technique du scénario, éventuellement un story board. Le technicien peut rappeler un oubli, rien de plus. »
L'échange se poursuit encore longtemps dans la nuit qui s'épaissit. Cheik parle de ses films précédents, des années de repérages, de préparatifs pour Guimba (Le Tyran) ou la Genèse...